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Lara JoVentre
24 août 2009

Témoignage

Le prochain cercle de silence aura lieu dimanche 30 août 2009, de 18 à 19 heures, Place Kléber, afin de protester contre la politique du chiffre des expulsions d’étrangers sans papiers qui provoque des drames incessants partout en France, comme celui que nous raconte Anaït, d’origine arménienne, arrivée à Strasbourg à l’abord de cet été.

Prenons le temps d’écouter le témoignage d’Anaït qui relate en quelques lignes vingt ans d’errance, de vie traquée et de tragédies qui trouvent leur réédition chez nous.

« A mon arrivée à Strasbourg, j’ai retrouvé mon fils aîné et mon mari dont j’avais été séparée depuis plus de deux ans. Mais à peine un mois après nos retrouvailles, mon mari et mon fils ont été arrêtés par la police et enfermés au centre de rétention de Geispolsheim. Mon fils a été renvoyé en Arménie le 29 juin et personne ne peut nous dire ce qu’il est devenu. Mon mari a été libéré et il vit désormais caché, de peur d’une nouvelle arrestation. Par ailleurs, je n’ai aucun signe de vie de nos deux autres enfants qui ont réussi à s’échapper d’un centre de déportation de Russie d’où on voulait également les expulser en Arménie.

Qu’avons-nous donc fait pour que notre vie bascule dans une spirale infernale qui creuse ses sillons d’horreur depuis maintenant 20 ans et qui ne veut toujours pas prendre fin ? Notre malheur tient en une phrase : nous étions une famille normale, unie et heureuse, jusqu’au jour où mon mari a été rendu coupable d’être né d’une mère azerbaïdanaise.

Il y a maintenant vingt ans, lorsque la guerre opposant l’Azerbaïdjan et l’Arménie a commencé, toutes les familles mixtes furent, d’un jour à l’autre, exposées au danger d’être exterminées en raison du sang mêlé coulant dans leurs veines. Ce jour-là, nous avons tout quitté, notre maison, notre travail, et tous ceux qui n’osaient plus se dire nos amis.

Nous sommes partis dans une autre région d’Arménie qui venait d’être ravagée par un tremblement de terre. Ainsi, nous pouvions subsister à la grâce de notre anonymat mais en veillant toujours à ce que notre véritable origine ne soit pas révélée. Nous gardions nos propres enfants dans cette ignorance, de peur qu’ils n’en laissent échapper quelque chose dans leur candeur puérile. Mais lorsque, au hasard d’une rencontre avec un camarade d’université de mon mari, son origine a été découverte, nous avons été sommés de quitter définitivement notre pays si nous voulions préserver nos vies.

Nous avons à nouveau tout laissé et nous sommes partis en Russie. Là, nos enfants ont commencé à nous demander pourquoi nous ne pouvions pas vivre normalement. Il a fallu leur expliquer pourquoi nous étions en fuite et aussi pourquoi ils ne pouvaient pas aller à l’école et jouer avec les autres enfants. Partout en Russie, les Caucasiens sont appelés « les culs noirs » par une population et des autorités hostiles. Mes enfants n’ont pas eu d’enfance. Quant à mon mari, chaque matin lorsqu’il partait travailler au noir pour assurer notre subsistance, je craignais de ne pas le voir revenir le soir. Jusqu’au jour où mon mari a été arrêté, une fois de plus, mais les coups infligés et notre argent n’ont plus suffi pour le faire relâcher. Pour éviter son expulsion en Arménie, il a dû signer l’engagement de quitter définitivement la Russie.

Nous n’avions pas assez d’argent pour pouvoir partir ensemble en Europe. Alors, nous avons décidé de protéger d’abord mon mari et mon fils aîné, les plus exposés, et ils sont partis vers l’inconnu dans l’espoir de trouver enfin la sécurité. Moi, je suis partie avec mes enfants à l’autre extrémité de la Russie où nous avons eu la chance de trouver du travail au noir dans une boulangerie et d’être logés dans une pièce située juste au-dessus. Ainsi, nous n’étions pas obligés de sortir pour aller travailler et nos collègues voulaient bien faire nos courses. Bien sûr, nous vivions comme dans une prison mais lorsque la tristesse m’envahissait, je pensais à mon mari et à mon fils aîné et je les imaginais pouvoir se promener librement sans avoir peur qu’on les maltraite à cause leur origine, sans avoir peur qu’on les maltraite parce qu’ils sont démunis de papiers…

Lorsque nous avons été arrêtés dans la boulangerie et mis dans un centre de déportation, mes enfants m’ont dit qu’ils feraient tout pour tenter de s’échapper. Moi, j’ai été renvoyée en Arménie et dès mon arrivée à l’aéroport, j’ai été arrêtée et interrogée pour savoir où étaient mon mari et mes enfants. J’ai alors remercié Dieu qui a permis à mes enfants de ne pas être là avec moi. Un policier qui aurait pu être mon père m’a battu mais, davantage que ses coups ce sont ses mots qui restent gravés en moi « Pourquoi n’as tu pas divorcé de cette pourriture ? Tu as préféré prendre le risque de priver tes enfants de leur vie plutôt que de leur père ? Disparais à jamais si tu ne veux pas disparaître au fond d’une geôle ou d’un trou ! ». J’ai retrouvé mon frère, la seule personne que j’ai encore en Arménie, qui continuait à me reprocher violemment mon union. C’est lui cependant qui m’a annoncé la première bonne nouvelle depuis longtemps : mon mari et mon fils aîné étaient à Strasbourg en bonne santé. Mon frère a payé très cher pour avoir la paix en me faisant partir à Strasbourg.

Arrivée à Strasbourg, je croyais avoir atteint une civilisation qui marquerait enfin la fin de cette errance et d’une part de nos souffrances. Mais quand ils ont arrêté mon mari puis mon fils, je me suis trouvée transposée en Russie. Quand ils m’ont arraché mon fils à peine retrouvé en l'expulsant en Arménie, l’espoir dans un monde humain s’est définitivement éteint en moi. Depuis 20 ans, mon mari et moi avons tout supporté en pensant à nos enfants. Aujourd’hui, nous avons perdu leur trace, à tous les trois. Je vis chaque jour dans la crainte qu’on nous annonce que leur sang a ensanglanté notre terre d’origine ou cette grande terre hostile de la Russie. Mon mari ne veut plus vivre, il dit que tout est de sa faute. Moi, maintenant que mes enfants sont perdus, je ne trouve plus la force de le contredire. Tout cela est trop à porter pour des parents. Désormais, je sais que nulle part, il n’y a de place pour nous sur cette terre. »

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Commentaires
P
Bonjour,<br /> <br /> Cela n'a rien à voir avec l'article mais je ne vois aucun formulaire de contact.<br /> Je souhaite connaître les associations qui ont porté plainte contre Orelsan. En effet, je n'arrête pas de lire "les associations" mais je n'ai eu vent que de Ni Putes Ni Soumises jusqu'à maintenant.<br /> <br /> Au fait, j'ai entendu parler de vous via un article quelconque sur la polémique Orelsan.<br /> <br /> D'avance merci.
Lara JoVentre
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