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Lara JoVentre
1 septembre 2011

Un nourrisson meurt après le placement de sa mère en

Médiapart 27 SEPTEMBRE 2011 | PAR CARINE FOUTEAU
Le dispositif administratif français d'expulsion des étrangers en situation irrégulière est-il comptable de la mort d'un enfant ?

À deux heures du matin, le 21 septembre 2011, une petite fille tout juste née est décédée à la maternité du CHU de Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme.
Quelques jours auparavant, sa mère avait été enfermée à l'autre bout de la France, au centre de rétention administrative (CRA) de Lille-Lesquin, autorisé à «accueillir» les familles en instance de reconduite à la frontière.
El Medina Bezjaku, tel était son nom. Son père, sa mère et ses frères et soeurs de 10, 7 et 3 ans sont toujours sous le coup d'une mesure d'éloignement du territoire. Le juge des libertés, qui a décidé de leur libération, a fait état d'un «traitement (...) inhumain et dégradant» et le médecin généraliste qui les soigne estime qu'«une femme dans son état n'aurait pas dû être transportée et enfermée comme elle l'a été».
Leur arrivée en France remonte à l'hiver 2010-2011. Roms, ils viennent de Pristina, au Kosovo, et s'installent à Clermont-Ferrand, où ils déposent une demande d'asile. Déboutés, ils entament un recours resté sans réponse. «Cette famille s'est retrouvée à la rue en juin. C'est à ce moment-là que j'ai fait leur connaissance. Ils dormaient sous des cartons dans un parc. Peut-être que vous êtes habitués à Paris, mais à Clermont-Ferrand, ça n'arrive jamais. Je leur ai amené à boire, à manger, je leur ai acheté une tente et des couvertures, ils n'avaient rien. Ils venaient de se faire jeter du 115, les hôteliers ne voulaient plus d'eux», témoigne Cécile Buisson, une voisine qui leur vient en aide, et qui, de manière intermittente, les héberge chez elle. «Ils m'ont expliqué qu'ils étaient venus pour fuir leur pays après le décès de leur fils de quinze ans tué par des factions albanaises. Ils sont venus pour se sauver et sauver leurs autres enfants», poursuit-elle.
Cécile Buisson remue ciel et terre et finit par trouver un hôtel qui accepte de les recevoir. Leur arrestation intervient le 17 août, à 7 heures du matin. La maman était alors enceinte de cinq mois. «Ils ont été embarqués dans un bus et sont partis à 8 heures, direction le nord de la France», indique-t-elle. Alertée, elle prend aussitôt contact avec l'Ordre de Malte, l'association présente dans le CRA de Lille-Lesquin. Première juridiction à se prononcer, le tribunal administratif donne raison à la préfecture du Puy-de-Dôme. «Ils les ont traités comme des moins que rien»
Le juge des libertés (JLD) voit la situation sous un autre angle. Dans sa décision, ordonnant la libération, il rappelle l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, selon lequel «nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants» et l'article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant qui impose comme considération primordiale pour toute décision publique l'intérêt supérieur de l'enfant.
En l'occurrence, le magistrat établit que le centre de rétention de Lesquin, même s'il dispose d'un espace réservé aux familles, n'en est pas moins un lieu d'enfermement; que les enfants, transportés de Clermont-Ferrand à Lille, ont subi un déplacement géographique important, d'une durée de 10 heures, «dans des conditions de stress de leurs parents et d'enfermement, ayant pu constater que leurs parents n'étaient pas libres de leurs mouvements»; que «leurs parents
précisent que cette situation a des répercussions sur la santé en termes de difficultés à s'alimenter et de stress»; que la mère, qui a déjà perdu un bébé en février, était enceinte et que «le risque d'atteinte à sa santé et à la santé du bébé consécutif au stress (...) est totalement disproportionné, au regard de l'objectif d'éloignement poursuivi par les autorités».
Le juge estime par ailleurs que «rien dans la procédure ne justifie que cette famille ait été transportée à Lesquin plutôt qu'à Lyon et que leurs conditions d'interpellation apparaissent opaques». La conclusion est sans appel: «Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le traitement subi par cette famille est inhumain et dégradant.»
Le calvaire des Bezjaku ne s'arrête pas avec leur remise en liberté le 21 août. «L'Ordre de Malte a dû se battre pour que la police les ramène à la gare de Lille. Et là, ils les ont lâchés sans argent, sans eau, sans rien. Ils ne les ont même pas accompagnés au quai, alors que ce sont des gens qui ne savent ni lire ni écrire. Ils les ont traités comme des moins que rien», s'indigne Cécile Buisson.
Dès le lendemain du retour, la maman est hospitalisée en urgence. «Elle est restée plusieurs jours à l'hôpital. C'est là que le décollement du placenta a été constaté», indique Alain Turri, le médecin traitant. La semaine dernière, mal en point, elle retourne à la maternité et accouche de la petite El Medina. «C'est impossible d'établir formellement le lien entre d'un côté le choc de l'arrestation, les heures de trajet et l'enfermement et de l'autre l'accouchement prématuré et la mort du bébé. Mais la succession des faits est implacable», ajoute-t-il.
«Ces parents ont pris des risques, ils les paient»
L'administration et les forces de l'ordre rejettent toute forme de responsabilité. Avant le décès de l'enfant, Martine Coudert, la directrice départementale de la sécurité publique évoquait même, dans La Montagne, les «conditions humaines auxquelles tout fonctionnaire de police est très attaché». Et listait les efforts supposés de ses services: «Nous laissons le temps aux familles de préparer leurs bagages, nos véhicules sont équipés de lait maternisé, de couches-culottes, de sièges bébé.»
Sur la défensive, la préfecture, interrogée par Mediapart, surenchérit. «Nous n'avons pas observé de difficultés particulières» lors de l'interpellation et du transfert vers Lille, assure Jean-Bernard Bobin, secrétaire général de la préfecture du Puy-de-Dôme, ayant ordonné la mesure d'éloignement. «On ne leur a pas mis les menottes, quand même! Ils avaient des boissons, de la nourriture, ils se sont arrêtés en chemin, c'est sans doute contraignant, mais ce n'est pas un traitement inhumain», insiste-t-il, contestant les conclusions du JLD lillois.
Des conditions d'interpellation «opaques»? «Je ne sais pas ce que ça veut dire», élude-t-il. Un dispositif «disproportionné» par rapport à l'objectif poursuivi?«Ils ont été envoyés à Lille parce qu'il n'y avait pas de places ailleurs. Dans ces cas-là, ce qui préside, c'est la logistique. Dix heures, c'est long, mais il n'y a pas de durée maximum dans la loi», dit-il. Revendique-t-il la politique de l'expulsion à tout prix, quels qu'en soient les coûts humains et financiers? «Oui. On essaie d'aller au bout de la conclusion de la situation, sinon cela veut dire
qu'on ferme les yeux sur leur irrégularité», répond-il, alors même que la famille a déposé un recours, ce qui signifie qu'il lui reste une chance d'obtenir l'asile en France.
Des poursuites à l'encontre de l'administration ont-elles été engagées? «Non, rien pour l'instant. Mais, en revanche, on va peut-être le faire contre ceux qui tiennent des propos diffamants contre nous», menace-t-il.
Tout en évoquant une «issue malheureuse qu'on déplore», le haut fonctionnaire estime que «ces parents ont pris des risques, ils les paient». «Ça peut être traumatisant, admet-il, mais bon, ces personnes sont quand même en situation irrégulière.» Pour se couvrir, il avance son principal argument: au moment de l'arrestation, «la femme n'a pas fait état de sa situation». Autrement dit, aucun des policiers n'a remarqué qu'elle était enceinte de cinq mois. «On ne va pas poser la question à chaque fois. C'est délicat. On ne peut pas savoir si la personne a grossi ou autre chose», estime-t-il. Au final, selon lui, aucun lien ne peut être établi. «J'ai eu accès à une partie du dossier médical. Je ne suis pas médecin, mais cette femme avait déjà fait une fausse couche...», avance-t-il, tout en reconnaissant que «le transport n'a sans doute pas facilité les choses».
Pour la riveraine et le médecin de la famille, ces justifications ne tiennent pas. La grossesse de la maman ne faisait, selon eux, aucun doute. Par ailleurs, l'administration ayant été informée en amont de ses antécédents médicaux, «il est d'autant plus invraisemblable qu'ils aient décidé de la trimballer de Clermont à Lille», insiste Alain Turri.
Pour dénoncer une «politique de l'immigration inhumaine et dégradante, à l'origine de drames quotidiens et qui engendre la mort», le réseau Éducation sans frontières (RESF) a appelé à un rassemblement mercredi 28 septembre devant la préfecture.
Ces derniers jours, les frères et soeurs d'El Medina ont été scolarisés. «Le père et la mère ont peur, ils se sentent perdus, mais ils ne veulent pas rentrer. Malgré ce qu'ils ont vécu ici, l'idée de repartir les terrifie», indique Cécile Buisson. Selon plusieurs sources préférant rester anonymes, la préfecture aurait demandé au 115, au mépris du principe d'accueil inconditionnel, de ne pas faire de proposition de logement à cette famille, ainsi qu'à toutes celles étant passées en rétention, ce que le secrétaire général dément. Les Bezjaku ont néanmoins trouvé une solution temporaire. Après le 30 septembre, ils seront de nouveau à la rue, sauf si les pouvoirs publics en décident autrement.

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