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Lara JoVentre
3 mars 2010

Etrangers irréguliers : l'acharnement

Source : http://www.alternatives-economiques.fr/etrangers-irreguliers---l-acharnement_fr_art_633_48137.html

Les renvois de sans-papiers entraînent de plus en plus de drames. Nous dévoilons ici un rapport officiel qui donne des éléments chiffrés sur les (coûteux) moyens mis en œuvre pour atteindre les quotas d'expulsions.

29 300 étrangers sans papiers ont été renvoyés en 2009, selon le ministère de l'Immigration. Mais la machine à expulser fonctionne de façon très différente du discours officiel, comme le révèlent les données d'un rapport du secrétariat général du Comité de contrôle de l'immigration (instance chargée de présenter chaque année au Parlement les orientations de la politique gouvernementale) publié en catimini et que nous dévoilons [1].

Le nombre d'étrangers expulsés a été multiplié par trois entre 2001 et 2009. Mais le gouvernement a commencé par le plus facile : le renvoi des jeunes hommes arrivés récemment. De plus en plus, il faut payer pour atteindre les « quotas » d'expulsés. Comme le montrent les données détaillées pour l'année 2008 : 10 000 personnes (+ 6 600 par rapport à 2007) ont ainsi été reconduites moyennant finances, soit 2 000 euros pour une personne seule, 3 500 euros pour un couple et 1 000 euros supplémentaires par enfant. Une politique extrêmement coûteuse, surtout si l'on ajoute l'ensemble des dépenses des services de l'Etat, du commissariat à l'administration centrale, en passant par la justice. Pour expulser 29 000 personnes, pas moins de 82 600 arrestations ont été réalisées, soit autant de dossiers et des millions d'heures de travail de fonctionnaires… Le rapport signale, par exemple, que 900 patrouilles « sécurisent » (les guillemets ne sont pas inclus dans le rapport) quelque 2 300 gares et 1 500 trains. Autant de services publics qui auraient mieux à faire en s'occupant d'autres dossiers, que l'on songe aux tribunaux ou aux forces de police.

Le plus grave, c'est que, de plus en plus, il faut reconduire à la frontière des personnes qui disposent d'attaches de longue date sur le sol français. Les drames humains se multiplient. Comme Najlaé, jeune fille de 19 ans renvoyée au Maroc après s'être présentée au commissariat, victime de violences de la part de son frère… Au moment même où le Parlement doit débattre d'un nouveau texte sur les violences faites aux femmes. Le rapport du comité interministériel, lui, fait froidement le bilan de l'efficacité des services et des moyens mis en œuvre pour améliorer la productivité de la machine à expulser : « Afin de poursuivre l'amélioration de la sécurité juridique des procédures d'éloignement, des actions de sensibilisation des personnels de préfecture et des services interpellateurs ont été initiées dans de nombreux départements », écrivent, parmi de nombreux exemples, les auteurs du rapport. Ce n'est pas non plus toujours le cœur léger que les fonctionnaires de police font monter une famille dans un fourgon pour la conduire à l'aéroport… Et certains se trompent malheureusement dans les procédures à suivre.

Le paradoxe apparent de cette politique, c'est que tout en expulsant, on régularise aussi beaucoup… 29 800 étrangers entrés irrégulièrement ont obtenu un titre de séjour en 2008 : davantage que d'expulsions. Entre 2002 et 2008, pas moins de 200 000 étrangers ont ainsi été régularisés selon le comité interministériel, un niveau supérieur à celui enregistré entre 1997-2001 ! Ce qui est logique : la traque des sans-papiers révèle de très nombreux cas de personnes qui ne sont pas ou difficilement expulsables − des familles avec des enfants nés en France ou établies de très longue date, ou des étrangers qui travaillent au service de personnalités de la majorité… On comprend que le ministère n'ait pas réellement intérêt à la diffusion de ces données, qui tranchent avec son discours de fermeté. Il déclare faire du « cas par cas », ce qui est à la fois une évidence − chaque dossier doit être examiné − et un mensonge : la loi ne peut qu'être identique pour tous. Officiellement, le gouvernement refuse bec et ongles la régularisation de masse, mais il régularise davantage qu'hier. Il faut d'ailleurs noter qu'en même temps, plus de 180 000 titres de long séjour sont accordés chaque année à des étrangers qui arrivent en France légalement…

Davantage d'expulsions et de régularisations

Image1

Comment expliquer un tel acharnement ? La régulation des flux migratoires est une question difficile, à laquelle on ne peut pas répondre de façon simpliste, de l'immigration zéro à l'ouverture totale et immédiate des frontières. Mais la violence et les moyens utilisés sont totalement disproportionnés par rapport au phénomène. Comme pour le débat sur l'identité nationale ou sur le port de la burqa, à l'évidence la politique mise en œuvre vise pour l'essentiel à permettre un affichage récurrent de fermeté vis-à-vis des étrangers dans un objectif électoraliste. Une telle politique peut-elle avoir des limites ? Du point de vue des valeurs, la responsabilité de ceux qui en sont les artisans est de plus en plus grande : renvoyer un être humain vers un pays en guerre ou un enfant vers la pauvreté n'est pas un acte administratif anodin. Le ministre de l'Immigration Eric Besson ou le président de la République Nicolas Sarkozy sont en première ligne, mais chacun des membres de l'exécutif partage personnellement cette responsabilité. Cette politique d'expulsion restera d'ailleurs très probablement dans l'histoire de notre pays comme l'un des éléments marquants de ce début de siècle. Les voix gagnées aujourd'hui risquent d'être chèrement payées demain.

Rapportée à l'ampleur des drames vécus, la mobilisation pour s'opposer à cette politique n'est pas à la hauteur d'autres revendications comme la défense des services publics ou des retraites. Le Réseau éducation sans frontières (RESF) a évité le pire pour les enfants en s'opposant vigoureusement aux renvois prévus en 2006 et de nombreuses associations font des efforts conséquents pour empêcher des situations dramatiques de se produire. Mais il s'agit le plus souvent du dévouement d'une poignée de bénévoles. Malheureusement, le seul espoir qui semble rester aujourd'hui est que l'accumulation des drames finisse par devenir coûteux dans les urnes…

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